Vous trouverez ici des ressources autour de l’exposition « La voix des témoins » pour vous permettre d’approfondir vos connaissances ou vos recherches sur le sujet.

3 question à Léa Veinstein, commissaire de l'exposition

Qu’appelle-t-on un « témoin » de la Shoah ? 

Un témoin de la Shoah est quelqu’un qui a vécu le génocide perpétré contre les Juifs au cours de la Seconde Guerre mondiale, et qui a laissé une trace de cette expérience – qu’il ait survécu, ou non. Le terme même de « témoin » est apparu assez tardivement. A la fin de la guerre, ceux qui revenaient n’étaient pas nommés, on n’avait pas de nom pour eux. Puis, on a utilisé différents termes : les « déportés », les « rescapés », les « survivants ». Ce n’est que lorsqu’on a commencé à écouter véritablement leurs récits, dans les années 1960, que l’on a vu émerger le mot « témoins ». Le terme vient d’ailleurs du champ juridique : le témoin est celui qui vient attester, certifier. Il adresse cette expérience, ce récit, pour perpétuer la mémoire.

Nous avons souhaité montrer dans cette exposition que la figure du « témoin de la Shoah », qui semble s’être imposée aujourd’hui dans le champ public et dans notre rapport collectif à la mémoire, résulte d’une construction historique.

A travers des documents, des archives audiovisuelles, ou encore des manuscrits inédits, l’exposition retrace le parcours du témoignage, depuis la clandestinité la plus dangereuse des manuscrits qui furent enterrés à Birkenau en 1942, jusqu’à l’image du matricule de Simone Veil exposé aux pieds des marches du Panthéon en 2018. Elle délimite cinq grandes périodes, qui sont chacune présentées, commentées et mises en perspective par un(e) historien(ne).

 

Quelle est l’importance de la voix du témoin (dans cette exposition) ?

La voix est ce qui de chacun de nous survit au temps, et même à la mort : plus encore qu’une image, elle rend chacun intensément présent (si vous écoutez l’enregistrement de la voix de quelqu’un après sa disparition, vous en ferez l’expérience). C’est cette idée qui fut à l’origine de l’exposition et lui donne son titre : il s’agit de rendre hommage aux témoins, mais aussi de tenter de répondre à la question de leur disparition. Comment va-t-on transmettre l’histoire, perpétuer la mémoire, en l’absence de ceux qui ont vécu directement la Shoah? Les très nombreuses archives dont nous disposons constituent déjà une réponse : les témoins ont parlé, ont laissé des traces, leurs témoignages sont disponibles à notre écoute et le resteront.

En outre, la voix n’est pas seulement physique, elle est aussi symbolique. Les témoins sont devenus des porte-voix, pourrait-on dire, s’engageant dans la mémoire comme dans un combat tantôt politique, tant moral, en tout cas toujours tourné vers la paix et la transmission.

Dans cette exposition, nous proposons donc au visiteur d’écouter la voix des témoins : nous avons pour cela choisi d’entendre en particulier sept figures du témoignage qui ont marqué notre mémoire collective par leur œuvre ou leur engagement : Primo Levi, Simone Veil, Marceline Loridan-Ivens, Elie Wiesel, Imre Kertesz, Aharon Appelfeld et Samuel Pisar. Nous leur avons dédié à chacun un espace d’écoute, où vous pourrez entendre ou réentendre leurs voix, sous la forme d’archives choisies qui constituent des autoportraits sonores.

Enfin, dernier signe que la voix des témoins a porté et que la transmission est déjà en train de se faire : les troisième et même quatrième générations, aujourd’hui, se saisissent de l’histoire de la Shoah pour la raconter autrement, par toutes les formes qui sont aujourd’hui à leur disposition. Nous terminons le parcours par une installation vidéo qui présente six personnalités de cette génération : artistes, auteur(e)s, intellectuel(le)s. Les témoins ont « passé le témoin » – et l’hommage que nous souhaitons leur rendre est aussi un hommage intergénérationnel.

 

Quelle influence espérez-vous que cette exposition ait sur les visiteurs ?

Entendre la voix des témoins doit être une expérience forte : forte parce qu’elle retrace des présences, des parcours de vie bouleversants, singuliers. Forte parce qu’elle rend présents des figures majeures qui s’adressent à nous, à chacun de nous, en nous rappelant l’horreur quasi indicible de ce qu’ils ont traversé. Forte parce que la voix des témoins, depuis Birkenau jusqu’à l’entrée de Simone Veil au Panthéon, est aussi un avertissement qui nous est adressé. Parmi les personnalités extraordinaires que nous avons pu interviewer pour produire les films que vous verrez dans cette exposition, figure un entretien inédit avec Serge Klarsfeld. Je n’oublierai pas l’acuité de son regard au moment où, alors que je l’interrogeais sur la transmission de la mémoire à la troisième et même quatrième génération, il nous a dit : « chacun doit se demander, en lui-même : en quoi puis-je agir pour combattre l’oubli ? ».

Modestement, nous espérons que ce parcours au cœur de la voix des témoins puisse donc constituer une expérience forte, qui engage ou poursuive la chaîne de la transmission. Car Elie Wiesel l’a dit de façon claire et lumineuse à la fin de sa vie : « écouter un témoin, c’est le devenir à son tour ».

Exposition-dossier : Les Juifs de France rescapés de la Shoah

Exposition du 23 janvier à mai 2020, au Mémorial de la Shoah de Paris

En 2005 est inauguré le Mur des Noms, monument sur lequel sont gravés les noms des enfants, femmes et hommes juifs déportés de France parce que définis comme Juifs entre 1942 et 1944. Désormais, les victimes disposent d’un lieu faisant office de pierre tombale et les familles d’un lieu de recueillement. Au total, près de 76 000 personnes ont leur nom gravé sur ce monument, dont seulement quelques milliers de rescapés revenus en 1945. Mais cette liste des « survivants » des camps n’a jamais été établie avec certitude.

Aujourd’hui, plusieurs travaux récents permettent d’avancer des réponses. Débutée en 2014, l’enquête menée par le Mémorial de la Shoah répond à cet enjeu de mémoire autant que de recherche historique. Pour cela, sa base de données et ses archives collectées depuis la Libération ont été étudiées et complétées par des recherches et l’utilisation de très nombreuses sources. Au-delà du nombre à établir, il s’agit avant tout de retrouver des histoires de vie et des histoires de mort, de comprendre les mécanismes de la survie, d’enrichir notre documentation sur les survivants.

À travers cette exposition, les commissaires scientifiques Karent Taïeb et Thomas Fontaine nous présentent le premier état de cette recherche, qui se terminera dans les mois à venir.

Visites guidées gratuites de l’exposition pour les individuels les jeudis 20 février et 12 mars de 19h30 à 21h. Sans réservation préalable. Les visites guidées sont proposées sur demande aux groupes. Sur réservation au 01 53 01 17 26 ou par email à reservation.groupes@memorialdelashoah.org.

L'histoire du témoignage

L’exposition dévoile l’histoire du témoignage et de sa présence dans l’espace public à travers une frise composée de biographies, manuscrits originaux, archives sonores et filmiques, éclairée des commentaires de ses principaux historiens, intellectuels acteurs ou analystes

Nous vous proposons de découvrir ici un court extrait d’une vidéo de l’historien Henry Rousso présentée dans l’exposition :

 

Biographie de Primo Levi par Philippe Mesnard

Primo Levi

31 juillet 1919 – 11 avril 1987

Primo Levi naît à Turin dans une famille juive parfaitement assimilée le 31 juillet 1919. Mussolini arrivant au pouvoir en 1922, sa jeunesse est conditionnée par l’éducation fasciste et les mesures antisémites mises progressivement en place jusqu’aux lois raciales de 1938 visant directement les Juifs. Fin 1943, tout s’accélère. Mussolini, destitué le 24 juillet, est remis au pouvoir lors de l’occupation du nord de l’Italie par les troupes allemandes. Se repliant dans les Alpes, Primo Levi est au contact de différents groupes de partisans. C’est à ce moment que, le 13 décembre, il est arrêté par les milices fascistes. Se déclarant Juif plutôt que résistant, il est interné le 20 janvier 1944 au camp de Fossoli, équivalent de celui de Drancy. Le 22 février, il est déporté dans un convoi de 650 Juifs à destination d’Auschwitz dont 526 seront gazés dès leur arrivée. II survit dans le camp de Buna-Monowitz pendant onze mois. Échappant à l’évacuation (« marches de la mort ») vers d’autres camps nazis, il est libéré le 27 janvier, mais ne sera de retour à Turin que le 19 octobre suivant.

C’est immédiatement qu’il commence à écrire l’expérience de sa déportation et de son internement à travers lesquels il a vécu la double violence de la Shoah et du système concentrationnaire. Tout d’abord, dit-il, viennent les poèmes, puis il entame l’écriture des 17 brefs chapitres de Si c’est un homme qui, refusé par plusieurs grands éditeurs, est publié par une petite maison en 1947. En 1958, Einaudi finit par republier l’ouvrage qui devient vite le classique que nous connaissons. Inlassable penseur du témoignage et de la mémoire, il en retravaillera plusieurs fois le contenu jusqu’en 1985 avec Les Naufragés et les Rescapés. (…)

Philippe Mesnard

Découvrez la biographie de Primo Levi en entier, ainsi que celles de 6 autres témoins, dans l’exposition La voix des témoins au Mémorial de la Shoah.

Éléments bibliographiques

(Cette liste est donnée à titre indicatif et ne présente aucune exhaustivité scientifique)

1. Livre de référence pour chaque historien cité dans l’exposition

Annette Wieviorka, L’ère du témoin, Hachette, 2002

François Azouvi, Le mythe du grand silence. Auschwitz, les français, la mémoire, Fayard, 2012

Henry Rousso, Le syndrome de Vichy. de 1944 à nos jours, Seuil, 1987

Denis Peschanski, La France des camps, Gallimard 2002

 

2. La fabrique du témoignage

Anny Dayan-Rosenmann, Les Alphabets de la Shoah. Survivre, témoigner, écrire, CNRS éditions, 2007

Régine Waintrater, Sortir du génocide. Témoignage et survivance, Payot, 2003 (réed. 2011)

Judith Perrignon avec Marceline-Loridan Ivens, Et tu n’es pas revenu, Grasset, 2015, et L’amour après, Grasset, 2018

Claude Bochurberg, avec Serge et Beate Klarsfeld, Le témoin et les témoins, Militer et témoigner (3 tomes), FFDJF, 2011

 

3. Livres présents sur les tables des 7 témoins dans l’exposition

Simone Veil
Album de photos préfacé par Annick Cojean, Simone Veil et les siens, Grasset, 2018
Simone Veil, Une vie, Stock, 2007
Simone Veil et David Teboul, L’aube à Birkenau, Les Arènes, 2019
Dominique Missika, Les inséparables : Simone Veil et ses sœurs, Seuil, 2018
 
Primo Levi
Si c’est un homme, Poche, 1999
La trêve, Poche, 2003
Les naufragés et les rescapés, Gallimard, 1989
Le devoir de mémoire, Poche, 1996
 
Marceline Loridan-Ivens
Ma vie balagan, Robert Laffont, 2008
Et tu n’es pas revenu, Grasset, 2015
L’amour après, Grasset, 2018
 
Imre Kertesz
Etre sans destin, L’échappée, 1998
Kaddish pour l’enfant qui ne naîtra pas, Actes Sud, 1995 
L’holocauste comme culture, discours essais, Actes sud, 2009
L’ultime auberge, Actes sud, 2015
 
Aharon Appelfeld
Histoire d’une viel’Olivier, 2004
La chambre de Mariana, l’Olivier, 2008
Le garçon qui voulait dormir, l’Olivier, 2011
Des jours d’une stupéfiante clarté, l’Olivier, 2018
 
Samuel Pisar
Le sang de l’espoir, Robert Laffont, 2016
Les armes de la paix, Denoël, 1970
La ressource humaine, Livre de poche n° 5937, 1984
 
Elie Wiesel
La nuit, Éditions de minuit, 2007
L’aube, Seuil, 1960
Le jour, Seuil, 1961
Discours d’Oslo, Grasset, 1987

 

4. La Troisième génération

Ivan Jablonka, Histoire des grands parents que je n’ai pas eus, Seuil, 2012
Frederika Amalia Finkelstein, L’oubli, Gallimard, 2014
Géraldine Schwarz, Les Amnésiques, Flammarion, 2017
Jeremie Dres, Nous n’irons pas voir Auschwitz, Cambourakis, 2011 (roman graphique)
Ruth Zylberman, Les enfants du 209 rue Saint-Maur (film, Arte, 2017) / Livre éponyme 209 rue Saint-Maur, Paris Xe. Autobiographie d’un immeuble, Seuil 2020