Nous vous proposons ici de découvrir les grandes lignes de l’exposition « La voix des témoins » ainsi que quelques documents ou visuels qui sont présentés dans l’exposition au Mémorial de la Shoah.

Bande-annonce

Présentation

Aujourd’hui, 75 ans après la libération du camp d’Auschwitz-Birkenau, les témoignages de la Shoah dont nous disposons sont innombrables : de nature différente, sur supports variables, ils entretiennent à l’égard de l’événement une distance qui s’étend à mesure que le temps passe. Le témoin est devenu une figure à part entière de notre espace public, et de la mémoire collective qui s’y construit. De clandestine, la voix des témoins est devenue publique : une voix, des voix que chacun peut entendre dans des films, à la radio, dans les discours politiques, dans les classes, et entre les lignes des nombreux livres qui ont paru et continuent de paraître.

Vient à présent le temps où se pose, inévitablement, la question de la disparition des témoins. Comment va-t-on poursuivre ce geste, initié par les Sonderkommandos au péril de leur vie ? Cette exposition s’intitule La voix des témoins, car elle voudrait affirmer que, par-delà la disparition des témoins, leurs voix restent et resteront : elles constituent des traces vives. Les générations d’après s’en saisissent et nous montrent qu’elles représentent un héritage immatériel.

La voix des témoins est d’abord une voix qui nous vient de Birkenau. Plus exactement, du sol de Birkenau, où des manuscrits furent enfouis par les membres des Sonderkommandos, « unités spéciales » constituées de détenus juifs, contraints d’extraire les cadavres des chambres à gaz, de les brûler et de disperser les cendres. Retrouvés des années plus tard, ces papiers jaunis sont les premiers témoignages dont nous disposons. Aucun de leurs auteurs n’a survécu. Mais tout témoignage ensuite, de ceux qui reviendront, a un lien souterrain avec ces manuscrits – une dette. Car ils recèlent le sens profond de ce qu’est un témoignage : laisser une trace. C’est une résistance, et une mise en échec du projet nazi qui voulait supprimer le peuple juif et toute trace de la suppression elle-même. Tout témoignage, ensuite, reflétera cette urgence à dire. Les témoins parleront après eux, comme le dit magnifiquement Primo Levi, « par délégation ». Léa Veinstein, commissaire de l’exposition.

 

Une histoire du témoignage

Dans l’exposition, l’histoire du témoignage est retranscrite à travers une frise chronologique. Il s’agit ainsi d’inscrire la voix des témoins dans l’histoire, c’est-à-dire dans le temps dans lequel cette parole a émergé, et dans lequel elle a été (ou non) écoutée. En dépit de la dimension universelle et, en un sens, intemporelle des témoignages, cette frise montre que la parole et la figure du témoin sont intrinsèquement liées au façonnement de la mémoire collective.

Riche d’archives et de documents inédits, cette frise fait apparaître deux lignes temporelles. La première est celle de l’évolution du témoignage. En dépit de variations de langue, de destinataire, de nature et de forme, ce qui frappe est que, de 1942 à aujourd’hui, les déportés témoignent inlassablement.

La seconde ligne qui émerge est celle de l’évolution de la réception du témoignage à l’intérieur de la société française. Elle connaît des fluctuations et des ruptures plus tranchées, mais suit une évolution croissante depuis l’après-guerre. Elle donne à voir l’émergence de la figure du « témoin » à partir des années 1960 (le terme lui-même apparaissant d’abord dans le contexte des grands procès de criminels nazis), puis la multiplication des œuvres et la reconnaissance grandissante de l’importance historique et morale du témoin.

Cette frise décrit le parcours du témoignage, de la clandestinité la plus dangereuse des manuscrits enterrés à Birkenau en 1942 jusqu’à l’image du matricule de Simone Veil exposée au pied des marches du Panthéon en 2018. Elle délimite cinq grandes périodes, qui sont chacune présentées, commentées et mises en perspective par un(e) historien(ne) : Annette Wievorka, Denis Peschanski, François Azouvi, Henry Rousso et Serge Klarsfeld.

Sept voix emblématiques

Primo Levi, Marceline Loridan-Ivens, Imre Kertész, Elie Wiesel, Samuel Pisar, Aharon Appelfeld et Simone Veil ont été, pour les témoins de la Shoah, des porte-voix. Ils ont donné à ces récits – y compris dans leur part d’indicible – des échos, des visages. Par leurs œuvres, leurs trajectoires et les symboles qu’ils sont devenus, ils ont contribué à rendre l’histoire de la Shoah audible à l’intérieur de la société française. Chacune de ces sept figures, lui donnant son relief individuel, a contribué au façonnement de la mémoire collective.

L’exposition propose d’écouter leurs voix à travers, pour chacun, deux archives issues de la radio et de la télévision française : une parmi leurs premières prises de parole, et une parmi leurs dernières, peu de temps avant leur mort.

Nous y entendons à la fois les évolutions de leur témoignage, les transformations de leur voix, mais aussi, en filigrane, une brève histoire des médias français et de la place qu’ils accordent aux témoins.

Le premier, Primo Levi, a une place singulière car il n’a pas donné d’entretien dans les médias français. L’exposition propose l’écoute d’une archive inédite de la télévision italienne, la RAI, qui avait diffusé en 1983 un documentaire intitulé Retour à Auschwitz. L’écrivain revenait témoigner sur les lieux de sa déportation. Il est ici traduit en français pour la première fois.

Ces archives sont accompagnées d’éléments iconographiques et de textes signés par des spécialistes, amis, enfants et traducteurs de ces sept témoins. Ils complètent et prolongent leurs portraits sonores.

Et après ?

À l’heure de la disparition des témoins, quel horizon pour la transmission ? L’exposition propose deux réponses à cette importante interrogation : la première est une bibliothèque. Le nombre d’ouvrages qu’elle comporte indique l’ampleur de ce que les témoins nous laissent. Les livres, comme les voix, survivent au temps.

La seconde réponse prend la forme d’une installation vidéo. À travers une galerie de six portraits, cette fois non plus sonores mais filmiques, elle nous montre qui sont aujourd’hui certains des héritiers, réels ou symboliques, de cette histoire du témoignage que nous avons retracée. 

En 1971, Robert Bober nommait déjà son film sur les enfants du manoir de Clamart « La génération d’après », des enfants juifs devenus, comme lui, orphelins alors que leurs parents étaient assassinés dans les camps. Il nous interrogeait dès lors sur ce qui, d’une histoire aussi douloureuse, passait d’une génération à l’autre. Presque cinquante ans plus tard, nous avons souhaité scruter à notre tour la troisième génération, la « génération d’encore après ».

Nous avons rencontré un historien, un auteur de BD, une romancière, une documentariste, un photographe, une journaliste franco-allemande. Ils ont entre 29 et 56 ans, et partagent le pari commun de « passer le témoin » – de continuer à faire vivre cette histoire, de sculpter à leur tour notre mémoire. (Avec : Frederika Amalia Finkelstein, Jérémie Dres, Ivan Jablonka, Géraldine Schwarz, Rudy Waks, Ruth Zylberman.)

La fabrique du témoignage

Elie Wiesel, à la fin de sa vie, a plusieurs fois répété cette phrase : « Celui qui écoute un témoin le devient à son tour. » C’est sur la figure de celui qui écoute, et qu’on ne voit pas, que le film « La fabrique du témoignage », présenté dans l’exposition, propose de s’arrêter. Comment faire naître un témoignage ? Quelle relation le témoin entretient-il avec celui qui l’interroge, qui écrit pour lui ? Par quels affects est-il traversé ?

Cinq personnalités qui ont été, à leur façon, « témoins du témoin », expliquent comment se fabrique un témoignage et comment nous pouvons le penser aujourd’hui, au croisement de plusieurs approches disciplinaires. (Avec : Laure Adler, journaliste, Claude Bochurberg, journaliste et militant de la mémoire, Anny Dayan Rosenman, professeure de littérature, Judith Perrignon, co-auteure de Et tu n’es pas revenu et L’amour après de Marceline Loridan-Ivens, Régine Waintrater, psychanalyste.)

À l’origine prise de parole à visée juridique, le témoignage est devenu une notion large et mouvante. Il peut désigner une parole privée comme une interview publique. Il peut donner naissance à un livre et à toute forme d’œuvre d’art. Il peut avoir une visée thérapeutique, dans le cadre d’un groupe de parole ; une visée historique ou pédagogique, dans le cadre d’une classe ou d’une collecte de témoignages. En fonction de ce cadre, l’adresse du témoin varie, le témoignage aussi.

Retrouvez les cinq témoignages à l’entresol du Mémorial.